Crédit Photo -- MacMurray Photograph Additions, Volume VI, #22
La Grande famine en Chine a duré trois ans, de l’été 1958 à 1961. Les chiffres officiels de la catastrophe depuis les années 1980 donnent une estimation de 15 millions de morts. Aujourd’hui les historiens pensent que la famine est responsable de la mort de 30 à 60 millions de personnes. Les écarts de chiffres et la fourchette approximative montrent à quel point on a voulu occulter le passé et pointent du doigt la méconnaissance des faits de la part des historiens encore actuellement.
Un journaliste chinois, Yang Jisheng, a enquêté pendant quinze ans pour rassembler les faits et tenter d’expliquer ce qui a conduit à un désastre d’une telle ampleur. Lorsqu’il avait 19 ans, son père est mort de faim. Il a alors pensé que son village natal était un cas isolé. Devenu journaliste quelques années plus tard, il a réalisé que la famine avait touché les campagnes de toute la Chine, et principalement quatre provinces centrales sans que l’on n’en sache rien au niveau national. Il a alors rassemblé témoignages et archives officielles, dénombrant au moins 36 millions de victimes, mettant en lumière des villages rayés de la carte, des charniers et des histoires atroces. L’œuvre monumentale qu’il a rédigée à la suite de son enquête est désormais traduite, et abrégée, sous le titre Stèles, la grande famine en Chine, 1958-1961. Son ouvrage constitue désormais l’un des livres de référence, encore rares sur la question. L’auteur dit avoir voulu élever des « stèles de papier » à son père et à toutes les victimes de la famine pour qu’on ne les oublie pas et que l’on comprenne les mécanismes de la Chine communiste qui ont mené à la famine.
La question centrale du livre de Yang Jisheng est de savoir comment une famine si importante a pu avoir lieu. Pour lui, « c’est une tragédie sans précédent dans l’histoire de l’humanité que, dans des conditions climatiques normales, en l’absence de guerre et d’épidémie, des dizaines de millions d’hommes soient morts de faim et qu’il y ait eu du cannibalisme à grande échelle ». Car bien que le régime ait longtemps proclamé que la famine avait été une catastrophe naturelle, due à des problèmes climatiques, on sait désormais que le facteur humain est la principale cause de cette famine.
Un journaliste chinois, Yang Jisheng, a enquêté pendant quinze ans pour rassembler les faits et tenter d’expliquer ce qui a conduit à un désastre d’une telle ampleur. Lorsqu’il avait 19 ans, son père est mort de faim. Il a alors pensé que son village natal était un cas isolé. Devenu journaliste quelques années plus tard, il a réalisé que la famine avait touché les campagnes de toute la Chine, et principalement quatre provinces centrales sans que l’on n’en sache rien au niveau national. Il a alors rassemblé témoignages et archives officielles, dénombrant au moins 36 millions de victimes, mettant en lumière des villages rayés de la carte, des charniers et des histoires atroces. L’œuvre monumentale qu’il a rédigée à la suite de son enquête est désormais traduite, et abrégée, sous le titre Stèles, la grande famine en Chine, 1958-1961. Son ouvrage constitue désormais l’un des livres de référence, encore rares sur la question. L’auteur dit avoir voulu élever des « stèles de papier » à son père et à toutes les victimes de la famine pour qu’on ne les oublie pas et que l’on comprenne les mécanismes de la Chine communiste qui ont mené à la famine.
La question centrale du livre de Yang Jisheng est de savoir comment une famine si importante a pu avoir lieu. Pour lui, « c’est une tragédie sans précédent dans l’histoire de l’humanité que, dans des conditions climatiques normales, en l’absence de guerre et d’épidémie, des dizaines de millions d’hommes soient morts de faim et qu’il y ait eu du cannibalisme à grande échelle ». Car bien que le régime ait longtemps proclamé que la famine avait été une catastrophe naturelle, due à des problèmes climatiques, on sait désormais que le facteur humain est la principale cause de cette famine.
Le « Grand Bond en Avant » et le système totalitaire
À l’origine de la période de famine, il y a une décision politique. Le PCC (Parti Communiste Chinois) au pouvoir depuis 1949 en Chine, dirigé par Mao, décide entre 1956 et 1957 d’accélérer l’évolution de la société vers le modèle communiste. Confiant dans la marche vers l’idéal, et rassuré par les bons chiffres des plans quinquennaux précédents, il décide d’accélérer la collectivisation des terres pour passer d’une économie dite « socialiste », après la réforme agraire juste aboutie, à une économie dite « communiste ». Mao prône une accélération de la production industrielle afin de rattraper au plus vite les grandes puissances occidentales, avec des slogans comme « l’Angleterre en dix ans ! ». Certains membres du parti tentent de s’opposer à cette politique qu’ils jugent « aventuriste » et dangereuse pour la société. On les fait taire en préférant au terme d’« aventurisme » le terme de « grand bond en avant » qui définit une politique sociétale et économique ambitieuse, mais nécessaire selon le Président Mao.
Concrètement cette politique s’est traduite dans les campagnes par une suppression de la propriété privée et la mise en place de ce qu’on a appelé les « communes populaires ». Les communes populaires sont des regroupements de villages à l’échelle du canton voire au-delà qui vont constituer l’unité de base de la production agricole et industrielle et régir la vie des habitants. Toutes les récoltes sont rassemblées, tous les habitants travaillent pour le compte de l’État qui redistribue une partie des produits aux paysans et envoie l’autre dans les villes. On réquisitionne le matériel agricole, les meubles, et même les casseroles pour la production d’acier. La cellule familiale est abolie et on crée des cantines populaires où toute la population doit manger. On veut créer une société nouvelle, moderne, industrielle et communiste.
Ce système aurait pu fonctionner sans un climat de surenchère intimé par le PCC et répercuté par les pouvoirs locaux. L’État en demandait toujours plus et ceux qui avouaient ne pas pouvoir suivre la cadence étaient taxés d’anti-régime, de « droitiers ». Un système totalitaire se caractérise par une organisation hiérarchique ou chacun veut plaire, craint et obéit à son supérieur et fait peser une forte pression sur son subalterne. La toute-puissance du Parti Communiste, organe du pouvoir présent à tous les échelons, de Mao jusqu’aux chefs de districts, a mené à cette situation incontrôlable : les cadres locaux recevaient l’ordre d’augmenter les rendements de blé et de riz. Ils demandaient aux paysans d’en faire plus pour plaire au parti. La récolte ne suivant pas, les cadres locaux donnaient à leurs supérieurs des chiffres faux pour maintenir leur rang. Les dirigeants du Parti avaient donc la sensation que leurs directives étaient suivies et fonctionnaient.
Lorsque la faim a commencé à se faire sentir, rien n’a pu l’endiguer. La population était épuisée par les efforts industriels qu’elle fournissait pour suivre la cadence imposée par le régime. Les paysans devaient quitter leurs champs pour faire de l’acier. Les familles n’avaient plus la possibilité d’être autosuffisantes, la propriété d’un lopin de terre ayant été bannie. Par peur du parti, les cadres empêchèrent toute communication entre les villages affamés et les villes, rendant tout ravitaillement d’urgence impossible. Les directives du Grand Bond en Avant et l’organisation hiérarchique fondée sur l’obéissance et la peur ont donc mené les campagnes à cette catastrophe.
Concrètement cette politique s’est traduite dans les campagnes par une suppression de la propriété privée et la mise en place de ce qu’on a appelé les « communes populaires ». Les communes populaires sont des regroupements de villages à l’échelle du canton voire au-delà qui vont constituer l’unité de base de la production agricole et industrielle et régir la vie des habitants. Toutes les récoltes sont rassemblées, tous les habitants travaillent pour le compte de l’État qui redistribue une partie des produits aux paysans et envoie l’autre dans les villes. On réquisitionne le matériel agricole, les meubles, et même les casseroles pour la production d’acier. La cellule familiale est abolie et on crée des cantines populaires où toute la population doit manger. On veut créer une société nouvelle, moderne, industrielle et communiste.
Ce système aurait pu fonctionner sans un climat de surenchère intimé par le PCC et répercuté par les pouvoirs locaux. L’État en demandait toujours plus et ceux qui avouaient ne pas pouvoir suivre la cadence étaient taxés d’anti-régime, de « droitiers ». Un système totalitaire se caractérise par une organisation hiérarchique ou chacun veut plaire, craint et obéit à son supérieur et fait peser une forte pression sur son subalterne. La toute-puissance du Parti Communiste, organe du pouvoir présent à tous les échelons, de Mao jusqu’aux chefs de districts, a mené à cette situation incontrôlable : les cadres locaux recevaient l’ordre d’augmenter les rendements de blé et de riz. Ils demandaient aux paysans d’en faire plus pour plaire au parti. La récolte ne suivant pas, les cadres locaux donnaient à leurs supérieurs des chiffres faux pour maintenir leur rang. Les dirigeants du Parti avaient donc la sensation que leurs directives étaient suivies et fonctionnaient.
Lorsque la faim a commencé à se faire sentir, rien n’a pu l’endiguer. La population était épuisée par les efforts industriels qu’elle fournissait pour suivre la cadence imposée par le régime. Les paysans devaient quitter leurs champs pour faire de l’acier. Les familles n’avaient plus la possibilité d’être autosuffisantes, la propriété d’un lopin de terre ayant été bannie. Par peur du parti, les cadres empêchèrent toute communication entre les villages affamés et les villes, rendant tout ravitaillement d’urgence impossible. Les directives du Grand Bond en Avant et l’organisation hiérarchique fondée sur l’obéissance et la peur ont donc mené les campagnes à cette catastrophe.
« Avec autant de morts de faim, l’Histoire retiendra nos deux noms, et le cannibalisme aussi sera dans les livres ».
C’est ce que Liu Shaoqi dit à Mao Zedung en 1962, effrayé des conséquences qu’il entrevoyait déjà de la politique dite du « Grand Bond en Avant ». Ainsi les dirigeants connaissaient la tragédie en cours malgré les chiffres erronés qu’ils recevaient. Zhou Xun, universitaire de Hong Kong rapporte même que dès mars 1959 Mao a proclamé : « Répartir les ressources de manière égale ne peut que faire échouer le Grand Bond en Avant. Lorsqu'il n'y a pas assez à manger, les gens meurent de faim. Mieux vaut laisser mourir la moitié des gens, de façon à ce que l'autre moitié puisse manger à sa faim ». L’idéal communiste et industriel valait donc bien que l’on sacrifie la moitié de la population qui comprenait alors 700 millions de Chinois. Malgré les tournées d’inspection de Liu Shaoqi et bien d’autres, Mao et les partisans de la « ligne » ont longtemps refusé de revoir le plan à la baisse. En 1962 seulement, Mao finit par déclarer sous la pression de certains cadres que le Grand Bond en Avant a réussi et peut donc être arrêté.
Force est de constater que la peur de Liu Shaoqi ne s’est pas encore accomplie et si l’Histoire retient Mao, elle a oublié la famine. Cinquante ans après on connaît mal les faits, à peine les causes. En France, on ne sais rien de Liu Shaoqi, l’un des plus hauts dirigeants du PPC qui dirigea officiellement le pays de 1959 à 1968. Le déni des faits est resté longtemps la règle, ce n’est qu’avec l’ouverture de Deng Xiaoping dans les années 1980 que le Parti a reconnu la famine comme une catastrophe « à 70% naturelle ». Laissant aux populations le soin de comprendre ce qu’il en était des 30% restants. L’ampleur de la famine, ses conséquences sur l’économie, la démographie ont été occultées. Les rares travaux des Occidentaux sur le sujet n’ont pu se baser sur aucune preuve solide. Les archives ouvertes un temps sur cette période sombre ont été refermées récemment après plusieurs recherches. Le gouvernement chinois n’est pas encore prêt à dévoiler ce pan de l’Histoire qui met en lumière les dérives du communisme et fragilise le régime. Les facteurs terrifiants de la grande famine font réfléchir sur les dérives totalitaires, au-delà du manque de liberté d’expression, c’est ici la soumission d’un peuple à une idéologie, qui entraine la mort de la population sans remettre en cause le régime. Il est nécessaire et urgent de faire ressortir ces événements de l’oubli, au même titre que l’Holocauste et d’autres tragédies humaines, pour en démonter les mécanismes. Les livres d’Histoire se taisent encore sur l’un des plus grands drames du XXe siècle.
Force est de constater que la peur de Liu Shaoqi ne s’est pas encore accomplie et si l’Histoire retient Mao, elle a oublié la famine. Cinquante ans après on connaît mal les faits, à peine les causes. En France, on ne sais rien de Liu Shaoqi, l’un des plus hauts dirigeants du PPC qui dirigea officiellement le pays de 1959 à 1968. Le déni des faits est resté longtemps la règle, ce n’est qu’avec l’ouverture de Deng Xiaoping dans les années 1980 que le Parti a reconnu la famine comme une catastrophe « à 70% naturelle ». Laissant aux populations le soin de comprendre ce qu’il en était des 30% restants. L’ampleur de la famine, ses conséquences sur l’économie, la démographie ont été occultées. Les rares travaux des Occidentaux sur le sujet n’ont pu se baser sur aucune preuve solide. Les archives ouvertes un temps sur cette période sombre ont été refermées récemment après plusieurs recherches. Le gouvernement chinois n’est pas encore prêt à dévoiler ce pan de l’Histoire qui met en lumière les dérives du communisme et fragilise le régime. Les facteurs terrifiants de la grande famine font réfléchir sur les dérives totalitaires, au-delà du manque de liberté d’expression, c’est ici la soumission d’un peuple à une idéologie, qui entraine la mort de la population sans remettre en cause le régime. Il est nécessaire et urgent de faire ressortir ces événements de l’oubli, au même titre que l’Holocauste et d’autres tragédies humaines, pour en démonter les mécanismes. Les livres d’Histoire se taisent encore sur l’un des plus grands drames du XXe siècle.
Yang Jisheng, Stèles, la grande famine en Chine, 1958-1961, Paris, Seuil, 2012
Zhou Xan, The Great Famine in China, a Documentary History, Yale University Press, 2012